CPE : l’Education Nationale en veut-elle toujours ?

Des conditions d'exercice de plus en plus difficiles, des postes non pourvus, peu de remplaçant·e·s, un recrutement en dépit du bon sens, propre à décourager les plus motivé·e·s : l'EN ne cherche-t-elle pas à se débarrasser de ces personnels pourtant si précieux dans nos établissements ?

Nous avons rencontré, depuis la rentrée, des collègues en poste de CPE et des jeunes en formation. Les difficultés qu’elles·ils rencontrent sont telles que leur parole s’est libérée comme un appel au secours.

1er témoignage : un·e CPE contractuel·le 

« Je suis contractuel·le depuis 10 ans, ça fait 10 fois que je passe le concours interne. Il s’agit d’un dossier basé sur l’expérience professionnelle. J’ai été admissible en 2020, mais pas en 2021 avec pourtant le même dossier. Lorsque je suis arrivé·e dans l’académie, malgré mon expérience de plusieurs années, j’ai attendu deux ans avant qu’on me donne quelque chose, et encore il a fallu que j’aille réclamer au rectorat, qui avait toutes mes références. Pourtant je sais qu’il y a des besoins… »

2ème témoignage : un·e enseignant·e

« j’enseigne dans un collège de REP. L’an dernier, entre septembre et Noël, on a vu passer au moins 10 personnes pour un poste et demi de CPE. Cette année, les contractuel·le·s qu’on avait eu n’ont pas été reconduit·es, on a donc eu deux nouvelles personnes, dont l’une est déjà en arrêt maladie, pas encore remplacée. On ne sait pas si elle le sera un jour. Le boulot est difficile, d’autant que le recrutement des AED devient problématique. Dans notre établissement, sans les CPE, tout se délite. »

3ème témoignage : un·e étudiant·e

« Je suis étudiant·e en M2, mais pas apprenti·e. J’effectue un Stage d’Observation et de Pratique Accompagnée (SOPA). Dans notre promotion, on est 13, il y a 4 apprenti·e·s (Contractuel·les Alternants : CA) donc 9 étudiant·e·s sans revenus.  Les CA ont pu faire des voeux et ont été positionné·e·s sur des établissements proches de chez elles·eux, alors que nous, on fait de la route. On est très fatigué·e·s par les déplacements incessants entre notre domicile, notre établissement et l’INSPE. La formation est exigeante, très théorique, mais le stage en établissement de 12h par semaine aussi.

J’ai l’impression de faire un 1/3 temps bénévolement sans l’avoir voulu.

Mes parents n’ont pas que moi comme enfant dans le supérieur, ils ne peuvent pas me payer un logement, en plus de la voiture et de l’essence. Je pense que je ne me présenterai pas au concours cette année, c’est trop dur de tout faire. Surtout que les taux de réussite sont très faibles. J’ai déjà passé l’oral, le jury m’a posé des questions en rapport avec la politique, et sur le logiciel pronote. J’ai trouvé ça injuste. On dirait qu’on attend de nous une expérience qu’on ne peut pas avoir. »

4ème témoignage : un·e titulaire avec de l’ancienneté

« Je suis en poste dans un gros lycée, avec des élèves de tout profil y compris lycée professionnel. Il y a 3 postes de CPE, dont un en arrêt maladie depuis deux ans. Pour le remplacement, on a vu de tout : un·e stagiaire à mi-temps, un·e Assistant d’EDucation  (AED) à mi-temps, un·e contractuel·le mais qui fait moins d’heures qu’un·e titulaire, et maintenant un·e Titulaire sur Zone de Remplacement (TZR). En plus, j’ai un·e collègue qui va bientôt partir en retraite, je ne sais pas s’il y aura un·e remplaçant·e. Et par ailleurs il faut que je gère une équipe de plus de 15 AED. »

Le recrutement des CPE

On peut lire sur le site officiel que le taux de recrutement des CPE au concours externe est d’environ 10% et à l’interne 4%. Le total des personnels recrutés en 2021 était sur toute la France de 340 personnes. Au vu de la pyramide des âges, ce nombre paraît complètement insuffisant pour compenser ne serait-ce que les départs en retraite. Sauf que des postes de CPE ne sont pas remplacés, par exemple en collège rural, il est fréquent que ses missions soient confiées à un·e AED. Il est bien connu en effet qu’en campagne, tout le monde est heureux, qu’il n’y a pas de détresse sociale.

De plus, la réforme de la formation initiale semble compromettre sérieusement le recrutement des jeunes aspirant à exercer cette profession, alors même que les besoins sont déjà criants. Les étudiant·e·s de M2 MEEF parcours CPE que nous avons rencontré·e·s, à la mi-septembre, sont déjà au bord du burn-out : elles·ils effectuent un stage SOPA non rémunéré dont le temps de présence en établissement est le même que pour leurs camarades en contrat d’alternance rémunéré. L’injustice ajoutée à la pression de la formation et aux kilomètres conduisent ces étudiant·e·s à remettre en question leur parcours alors qu’elles·ils sont en 5ème année.

Un·e collègue CPE nous a confié : « J’ai un·e apprenti·e que je n’avais pas demandé. Je dois la·le former mais aussi lui donner des responsabilités alors qu’elle·il est inexpérimenté·e. De plus sa présence avec nous et auprès des élèves est trop perlée pour lui permettre un réel suivi des dossiers que je lui confie. »

Le métier de CPE

Enfin, ce métier mal connu est très exigeant : il réclame des connaissances théoriques d’ordre juridique, mais aussi psychologique. Les missions que la·le CPE exerce sont très variées, par exemple : désamorcer les situations conflictuelles, dialoguer avec des familles en détresse sociale, assurer le lien entre les enseignant·e·s, les élèves et l’équipe de direction, faire vivre la vie collégienne ou lycéenne, recruter et gérer les AED etc…

Dit comme ça, ça donne envie : un métier varié, en contact avec les gens. Et pourtant…

Il faut savoir que la rémunération de ces fonctionnaires ne comporte pas d’heures supplémentaires. On peut leur attribuer une portion d’indemnité pour mission particulière lorsque la·le collègue est par exemple référent·e décrochage scolaire. En dehors de ces cas, il faut faire avec le salaire de base, c’est-à-dire le salaire d’un·e professeur·e certifié·e. Dans la réalité, les collègues CPE font souvent des heures en plus de leur service pour terminer leurs tâches, mais ne les récupèrent pas car ce n’est pas vraiment possible. Et l’avancement ? À l’ancienneté exclusivement… Pas de rendez-vous carrière pour ces personnels à mi-chemin entre l’administration et les enseignant·e·s.

Au service de 36 heures par semaine s’ajoutent des permanences pendant les vacances scolaires : une semaine aux « petites vacances » et un mois réparti au début et à la fin des grandes vacances. Ces heures de permanences ne sont pas effectuées par les CPE contractuels. Elles sont très denses car essentielles pour préparer la rentrée, recruter les AED. De plus, pour les personnels logés, il y a des heures d’astreinte : des nuits et des week-end où il faut être physiquement présent·e dans l’établissement, en particulier le dimanche soir pour accueillir les élèves internes.

Que pourrions-nous proposer pour améliorer la situation ?

  • Augmenter le recrutement des CPE, et permettre aux candidat·e·s de conserver le bénéfice de l’admissibilité au concours pendant un an.
  • Permettre aux CPE titulaires d’accéder aux heures supplémentaires, puisqu’elles·ils les font.
  • Affecter les étudiant·e·s qui préparent le concours sur des postes d’AED tutoré par un·e CPE volontaire afin qu’elles·ils aient une rémunération qui leur permette de poursuivre leurs études tout en acquérant de l’expérience professionnelle.