En retard, en retard, l’École française a toujours rendez-vous quelque part. Son rapport au temps brille par son particularisme, héritier d’une longue histoire mais aussi en décalage avec ce que pratiquent la plupart de ses voisins.
Le constat est désormais bien connu : les élèves français sont celles et ceux, parmi les pays de l’OCDE, qui passent en moyenne le moins de jours à l’école. Depuis 2017 et le retour quasi systématique à la semaine de 4 jours, le calcul est simple : 36×4 = 144 jours par an. Loin, très loin des 185 jours passés à l’école en moyenne par les enfants des pays de l’OCDE. Il faut dire que la France est le seul de ces pays à avoir la drôle d’idée de n’envoyer ses enfants à l’école que 4 jours par semaine.
Et pourtant, les élèves français passent 864h par an à l’école soit 60 heures de plus que la moyenne OCDE.
Ce déséquilibre s’explique aisément : les journées passées à l’école française en primaire sont parmi les plus lourdes.
Ainsi, si la réflexion politique et médiatique s’attarde régulièrement sur la question des vacances, et notamment des vacances d’été, celles-ci ne semblent pas être le cœur des particularités françaises. La pause estivale est effectivement globalement plus longue en France que dans les pays plus au Nord, mais aussi plus courte que dans les pays plus au Sud. On voit comment ici c’est au final le climat qui a en partie dicté les possibles en matière de répartition du temps scolaire en été. Et les évolutions climatiques récentes, conjuguées à l’état du bâti des établissements français, laisse dubitatif quant à la possibilité de faire travailler davantage les élèves en juillet et en août. Si l’on cherche du côté des vacances, la particularité française tient davantage à la fréquence et la durée des petites vacances, plus importantes que dans les pays voisins.
Mais la vraie spécificité hexagonale, ce sont bien ces journées à rallonge, et donc une extrême concentration du temps scolaire qui ne facilite guère la concentration des élèves et l’efficacité des apprentissages.
Dans une récente tribune, l’ancien directeur général de l’enseignement scolaire, Jean-Paul Delahaye, dressait ce constat sévère : « enlever une matinée de classe est nuisible à tous les enfants et singulièrement aux enfants des milieux populaires, eux qui n’ont que l’école pour s’émanciper ».
Graphique réalisé par Florent Ternisien. Sources : OCDE et Eurydice
A longueur de journées…
Cette longueur des journées ne date pas d’hier. En réalité la durée de la journée scolaire française n’a pas bougé depuis 1882 et les lois Ferry. Lorsque l’on cherche à expliquer cette remarquable longueur des journées scolaires françaises, des éléments reviennent régulièrement : une journée davantage pensée en fonction du temps de travail des adultes qu’en fonction de celui des enfants et ainsi que la faiblesse du périscolaire français. Mais un coup d’œil dans le rétroviseur tend à nuancer cette affirmation : le souci ne semble pas tant résider dans une réflexion mal placée que dans l’absence quasi-totale de réflexion et d’action sur le sujet depuis 140 ans. Les seuls ajustements consistèrent à enlever 3 heures de cours, le samedi après-midi, en 1969, et 3 autres heures, le samedi matin, en deux temps, en 1990 et 2008.
Lorsque le sujet fut mis sur la table avec la réforme des rythmes voulue par Vincent Peillon en 2013, qui augmentait le nombre de jours de présence et réduisait la durée des journées, il sembla poser tant de souci qu’il fallut à peine 4 ans pour assister à un rétropédalage quasi complet. C’est désormais l’ensemble de la société qui est organisée autour d’un temps scolaire ainsi construit. Le repenser est un chantier bien plus complexe qu’on ne pourrait le penser au premier abord et qui dépasse largement le cadre de l’Education Nationale. Ce qui pose des questions d’inégalités, de recrutement, de formation sur l’ensemble du territoire que la réforme Peillon n’avait sans doute pas suffisamment anticipé.
Quelle efficacité ?
Le passage du primaire au secondaire ne s’accompagne pas d’un changement de philosophie dans l’organisation du temps de travail des élèves français. Calculer la durée du temps scolaire au collège et surtout au lycée est plus difficile qu’en primaire, la diversité des parcours entrainant une grande variation suivant les élèves. Néanmoins, que ce soit au collège ou au lycée, les élèves français ont un temps de cours nettement supérieur à la moyenne de l’OCDE. Ainsi la durée des journées au collège et au lycée varie fortement, mais celles-ci peuvent à nouveau être très longues, les élèves français ayant très fréquemment des journées avec 7 à 8 heures de cours, ce qui pose là aussi de sérieuses questions en terme d’efficacité.
Ce choix d’un nombre d’heures de cours globalement plus important a des conséquences budgétaires : le temps c’est de l’argent. Et en contrepartie la France est le pays où les classes sont les plus chargées en primaire et en collège parmi les 22 pays de l’UE membres de l’OCDE.
Ce qui signifie que si les élèves français passent plus de temps à l’école que beaucoup d’autres, elles et ils le font dans des conditions moins bonnes.
Records
On commence à le percevoir, la question du temps de travail est loin d’être accessoire lorsque l’on étudie les maux du système scolaire français. Car ces particularités françaises s’accompagnent de performances décevantes dans les diverses enquêtes internationales réalisées ces dernières années. Et contrairement à ce que pourrait laisser penser le débat médiatique ou les interventions ministérielles, le souci ne réside pas dans un manque de temps consacré aux « fondamentaux ». Bien au contraire, selon le rapport publié en septembre 2023 par l’OCDE, la France détient le record du temps consacré aux mathématiques et au français en école élémentaire, pour des résultats en dessous de la moyenne des pays européens.
Ces soucis ne concernent pas que les élèves : le temps de service des professeurs des écoles n’ayant guère été dissocié de celui des élèves, il s’élève à 972 heures par an, plus de 200 heures au-dessus de la moyenne des pays de l’UE membres de l’OCDE. Là encore, les conditions de travail s’en ressentent fortement.
Au final, se pencher sur la question du temps de travail scolaire en France, c’est observer comment un pays a globalement choisi de préférer la quantité à la qualité. Comment aussi, face à des résultats décevants, la société ne cesse de penser que la solution se trouverait dans un « toujours plus ». C’est se rendre compte que la question du temps de travail est en fait un impensé du système scolaire français, le fruit d’habitudes qui se sont perpétuées. Et réaliser que notre société n’a jamais pris le temps de réfléchir au fait que pour apprendre, il faut laisser du temps au temps. Face à cela il semble donc urgent… de prendre le temps. Le temps de regarder notre système scolaire tel qu’il est et non tel que nous le fantasmons. Le temps de construire les changements nécessaires et de faire notre ce slogan : faire moins, mais mieux.